Urbanisme & Immo Heureusement, les multiples (semi-)piétonniers de Bruxelles n'ont réellement de piétonnier que le nom. Les espaces sont envahis par des vélos et trottinettes, et des voies ont été préservées pour les transports en commun, les livraisons, et même les voitures. « D'une manière ou d'une autre, des minibus et autres mobilités durables vont se déployer sur le piétonnier du centre », pressent le sociologue, architecte et urbaniste Pierre Vanderstraeten, co-concepteur de l'espace partagé sur la place communale de Molenbeek. « Si on peut imaginer que l'ensemble du centre-ville se transforme au fil des ans en un grand espace partagé, il y aura toujours des zones d’exception. Il faudra veiller à privilégier le trafic de destination sur celui de transit. » Il ajoute que « dans les espaces partagés, chaque usager est remis en situation de vigilance, ce qui est le meilleur gage de sécurité. Aujourd'hui, on regarde de près la dimension comportementale au-delà des aspects techniques. » Un froncement de sourcils pour tout sourire et un ordre d'arrêt en signe de la main miment l'attitude des piétons bruxellois qui se pensent dans leur bon droit en traversant, même quand ils ne respectent pas les dispositions de prudence du code de la route. Si, aux petits Français, on a répété de bien regarder avant de traverser, aux petits Belges, on a surtout dû apprendre à traverser sur les passages piétons. L'institut belge de sécurité routière Vias le confirme : les piétons français sont parmi les plus indisciplinés d'Europe pour la traversée au rouge, mais plus du tiers des automobilistes belges sont surtout irrités par les piétons qui se lancent sur un passage sans prêter attention aux véhicules en approche. En Belgique, 60 % des accidents impliquant un piéton en ville surviennent sur ou à proximité d'un passage. La généralisation du 30 km/h à Bruxelles est conforme aux recommandations de Vias, mais le temps de réaction et la distance de freinage s'étalant sur 13 à 15 mètres, il conseille également de sensibiliser les piétons à prendre le temps de se faire voir. En panne d'alternatives à la voiture La multiplication des « petites » mobilités en ville, en ce inclus les petites voitures, accroît la sécurité des usagers faibles. Considérant que les « routières » sont plus dangereuses, resteront largement dépendantes des carburants polluants dans les prochaines années et génèrent des particules fines pour freiner leur masse, Nicolas Gilsoul apprécie les mesures prises à Paris et Bruxelles pour rééquilibrer le trafic : « Limiter les véhicules polluants est bénéfique aux grandes villes, surtout qu'il y a des alternatives pour ceux qui n'ont pas les moyens d'acheter les voitures autorisées à rouler. Déployer le réseau cyclable permet aussi de bouger de nombreux citadins qui ont l'âge et la santé pour pédaler. » En outre, la Région bruxelloise supprimera 65.000 places en surface d'ici 2030 pour rediriger les voitures vers les parkings du sous-sol, mais aussi vers ceux des bureaux et magasins. Pour Pierre Vanderstraeten, la manœuvre en vaut la peine : « Il faut tendre vers de meilleurs partages. En ville, les jeunes rompent avec cette volonté d’être propriétaire d’une voiture. » Cependant, Nicolas Gilsoul remarque qu'« à Séoul, quand une portion d'autoroute urbaine a été retirée pour retrouver la rivière du dessous, le trafic a pu être fluidifié en pensant global. Toutes les forces vives de la ville ont réfléchi à développer des alternatives à grande échelle. À Paris, les réseaux de transport en commun comme les autoroutes rayonnent à partir du cœur de ville. Pour y remédier, 68 gares du Grand Paris sont en train de voir À Séoul, la rivière Cheonggyecheon remise à l’air libre est devenue une promenade très appréciée. le jour. La difficulté dans les villes, c'est que les transports appartiennent à une autorité administrative, l'espace public à une autre... » C'est le grand problème à Bruxelles, qui n'a pas de nouvelles alternatives à offrir à ses travailleurs des communes et régions périphériques. « Le plan régional de développement durable (PRDD) ambitionne une ville polycentrique, où la densité et les activités sont structurées autour des transports en commun », souligne Pierre Vanderstraeten. « Avec la dispersion de l'habitat en Brabant, peu de gens vivent près des arrêts. Il faut donc y développer des projets d'agglomération, de densité et de mixité raisonnables. » Penser la mobilité de 2050, c'est considérer que les voitures électriques ne diminueront à l'approche des villes que proportionnellement au développement des transports en commun et plus petites mobilités. ● Ophélie Delarouzée Bruxelles Métropole - février 2020 ❙ 27 © Getty
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