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THINK TANK POUR OU CONTRE L’intérim comme mode de recrutement ? Après une chute sans précédent lors de la crise de 2008, au bénéfice de la survie de l’emploi fixe, l’intérim retrouve une croissance continue. Son évolution tournée vers l’insertion professionnelle questionne aujourd’hui les employeurs et les politiques nostalgiques de la période d’essai. La suppression de cette dernière ne semble pourtant pas influer sur le recours aux agences d’intérim en matière de recrutement. Ophélie Delarouzée Herwig Muyldermans, directeur général de Federgon Le remplacement est le motif classique historique de l’intérim. À partir des années 80-90 s’y sont ajoutés le surcroît du travail et les besoins en flexibilité. Ces 20 dernières années, les entreprises se sont mises à engager des intérimaires et l’intérim a de plus en plus été utilisé comme « pré-période d’essai ». C’est devenu la règle presque générale dans l’industrie, mais aussi progressivement dans le secteur tertiaire. Les PME, qui étaient plutôt réfractaires, embauchent de plus en plus aujourd’hui via l’intérim. Selon la conjoncture, 30 à 50 % des intérimaires sont engagés chez le client : soit c’est un système bien réfléchi par les entreprises qui cherchent à embaucher après un essai par intérim, soit c’est par exemple un remplacement qui, finalement, convient. Avec la suppression de la période d’essai, on constate un léger allongement des missions intérim mais, en fait, le raccourcissement des préavis revient au même. L’augmentation de l’intérim est similaire en France et même plus importante aux Pays-Bas. Je crois que les entreprises hésitent encore à embaucher et privilégient la flexibilité parce qu’elles n’ont pas oublié la crise de 2008 et la récession de 2011-12, et qu’elles se demandent si la reprise va durer. Pour les travailleurs, l’intérim diminue aussi le seuil d’entrée sur le marché de l’emploi. Actuellement, 10 % des intérimaires ont plus de 50 ans et 35 % moins de 26 ans. Sous un contrat d’une semaine ou 15 jours, les entreprises osent leur donner une chance. En 2016, 600.000 personnes (580.000 en 2015) auront travaillé au moins un jour en intérim sur une population active de 4,3 millions. Les agences d’intérim sont devenues des sous-traitants en ressources humaines, servant à recruter aussi bien vers un CDI que vers un CDD ou des statuts intérimaires. Les entreprises travaillent aujourd’hui avec un « noyau dur », et toutes sortes de sous-traitants autour. La grande entreprise qui gérait toutes les fonctions et travaillait avec des gens jusqu’à leur pension, c’est le passé. L’intérim est une forme d’emploi précaire par nature. Le renouvellement de contrats courts pour une même mission appelle une forte disponibilité, sans garantir une sécurité d’emploi. Cette relation triangulaire, où les aspects contractuels sont transférés à l’agence d’intérim et l’organisation du travail laissée à l’utilisateur, entrave la représentation syndicale. Pour éviter un contournement des conventions collectives, des protections ont été développées, avec un fonds pour des primes de fin d’année, des garanties salariales... Depuis 1987, la législation a normalisé l’intérim et a étendu les possibilités d’y recourir, en augmentant les secteurs autorisés, les durées et les motifs. Mais en pratique, le surcroît temporaire de travail est aussi invoqué pour justifier des volumes d’intérimaires permanents, qui entrent en concurrence avec l’emploi fixe. Le motif d’insertion a légalisé une pratique courante, mais les limitations négociées – maximum 6 mois par intérimaire, 3 tentatives et engagement sur CDI –peuvent inciter les entreprises à mobiliser un motif moins contraignant. À ma connaissance, aucune donnée ne permet d’évaluer son taux d’utilisation et je ne parierais pas sur son succès. Dire que 30 à 50 % des intérimaires trouvent un emploi ne dit rien sur la période durant laquelle ils ont multiplié missions et CDD. Si l’intérim peut être un tremplin, c’est aussi parfois un tunnel. Beaucoup choisissent l’intérim dans une logique d’insertion. On a mené une enquête auprès de 3.000 intérimaires : sur les 1.000 commentaires libres récoltés, il ressort un ressentiment à l’égard des entreprises qui mobilisent en permanence des intérimaires et promettent un engagement qui ne vient pas. Le CDI demandé par les agences d’intérim, pour retenir une proportion d’intérimaires avec des qualifications recherchées, entre dans les réformes de Kris Peeters. Mais ce CDI est dépossédé de toute perspective d’évolution pour le travailleur, qui perd aussi la liberté de refuser des missions. Esteban Martinez-Garcia, professeur de sociologie du travail à l’ULB BECI - Bruxelles métropole - janvier 2017 5 © Reporters

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