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THINK TANK Pour un « plan taxis » cohérent à une attente et qu’ils le font parfois mieux que d’autres acteurs déjà installés : quel entrepreneur acceptera de se déplacer pour des petites retouches de peinture ? Où trouver un taxi pour une course de 2 ou 3 km seulement ? C’est une concurrence ? Oui, et une saine concurrence puisqu’elle oblige les prestataires existants à se remettre en question et améliorer leur niveau de service – voyez certaine compagnie de taxi qui a développé sa propre application mobile. Cependant… Cependant, dès lors qu’il s’agit d’un business qui génère des revenus, il y a quelques règles à observer : c’est la protection du consommateur, le respect des réglementations, le paiement des taxes… Et c’est là que le bât blesse. Quand un particulier en héberge un autre, doit-il aménager une sortie de secours, comme dans un hôtel ? Le chauffeur Uber doit-il payer une assurance pour le transport de personnes, comme un taxi ? Sous quel statut travaillent-ils ? Y a-t-il un lien de subordination avec la plateforme internet, constitutif d’un contrat de travail ? Sont-ils indépendants ? À titre principal ou complémentaire ? Déclarent-ils leurs revenus ? Doivent-ils payer des charges sociales, payer la TVA ? Et qui va contrôler tout ça ? Participatif, mais pas solidaire Dans les faits, il y a peu de contrôle, peu de limites posées aux dérives possibles. Peu ou pas de garanties pour le consommateur. Peu ou pas de transparence financière – et d’autant moins de contributions fiscales. Dans les faits, cette économie du partage, aux atours participatifs et solidaires, s’apparente souvent à de l’économie sauvage. On a réinventé l’économie de subsistance, avec des mini-jobs, et l’économie parallèle – où le travail au noir passe par internet. Bienvenue dans l’économie du partage : les réglementations, la solidarité par l’impôt, c’est pour les autres. Les autres, ce sont les hôteliers, taximen, peintres, plombiers, électriciens, aides ménagères, d’autres encore demain…, soumis à des règles, à des impôts, à des contrôles et confrontés à une forme de concurrence déloyale. Certes, le consommateur s’y retrouve : il est content de payer moins cher. Mais il n’est pas forcément conscient de payer, en fait, le prix du dumping. Pour prendre un autre exemple : je pourrais très bien faire du pain le week-end et le vendre à mes voisins. Tout le monde serait content : j’aurais un revenu d’appoint, mes voisins auraient du pain frais pour pas cher. Sûr que l’Afsca n’y verrait aucun inconvénient, pas plus que les boulangers, ni le fisc. N’est-ce pas ? Encadrer plutôt qu’interdire Il serait pourtant vain de vouloir s’opposer à l’économie du partage. Parce que, comme nous l’avons dit, elle répond à une demande réelle et aux nouvelles habitudes de consommation mobile. Elle s’imposera donc, quoi qu’il arrive. 8 BECI - Bruxelles métropole - mai 2015 D’un côté, des taxis qui bénéficient d’un monopole mais souffrent d’un déficit de réputation (on refuse parfois les petites courses, les paiements par cartes de crédit…). De l’autre, un nouvel acteur (et même plusieurs, il n’y a pas qu’Uber), avec une offre innovante (on peut suivre les flux, coter le chauffeur…), mais qui échappe de fait à toute réglementation pour une activité professionnelle – et qui continue à opérer dans l’illégalité à Bruxelles, en dépit de condamnations. Entre ces deux-là, un conflit qui tourne par moment au coup de poing. Un bel exemple d’« économie du partage » dévoyée. Le « plan taxis » proposé par Pascal Smet devrait y mettre de l’ordre mais, force est de le constater, dans son état actuel, il n’apporte guère de solution. Le plan propose certes une distinction selon le caractère « principal » ou « complémentaire » de l’activité, mais sans imposer de règles cohérentes qui permettraient la cohabitation. Telle qu’elle a été pensée, l’ouverture du marché ne peut en tous cas bénéficier aux taxis, aussi longtemps qu’ils seront soumis à un quota de licences et à des tarifs réglementés. Une réforme du transport des personnes permettrait cependant de moderniser le secteur, stimuler la concurrence et la différenciation des services. Pour cela, il faut une base légale cohérente, assurant des conditions de concurrence équitables (same level playing field) : un cadre et un marché uniques (mêmes normes de sécurité, mêmes règles fiscales), un déplafonnement des licences, une libéralisation des tarifs, l’identification des véhicules et l’assimilation d’Uber aux centrales de taxis… La réussite de cette réforme est sans doute un test pour l’économie collaborative à Bruxelles. Mais il y a sans doute des questions à se poser : si les nouveaux modèles, affranchis des règles, rencontrent un tel succès, n’est-ce pas le signe que ces règles sont devenues trop lourdes, trop contraignantes – y compris pour les acteurs existants ? Et si les règles existantes s’avèrent inapplicables à de nouveaux modèles, ne faut-il pas en inventer d’autres ? Plutôt que d’interdire, il est urgent d’encadrer – pour que le « business du partage » se développe dans des conditions de concurrence équitables. De ce point de vue, on ne peut pas dire que Bruxelles soit à l’avant-garde. Pour une capitale européenne, il y a pourtant un exemple à donner, dans un domaine en plein boom. ●

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