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Au milieu d’une architecture appauvrie, froidement technique, glacée de hauteurs vitrées et moulée de béton, Luc Schuiten apprécie le langage de Vincent Glowinski, dit Bonom, emprunté par la ville pour faire percer un cri dont la peine imprègne et entache les murs : « C’est un engagement corps et âme, car il intègre dans chacune de ses œuvres une dimension acrobatique et furtive. Dans l’évolution de nos villes, de leurs modes d’expression de plus en plus mercantiles et de leur insondable vacuité, le travail d’un artiste urbain est devenu une œuvre de salubrité publique. » Une transgression libératrice Juché sur les toits de Bruxelles, le singe qui s’éveille en Bonom ne perçoit plus sur le gris du bitume que des reliquats d’une nature contrainte, et de rares animaux domestiqués au sein d’une marée d’hommes ne laissant paraître que des têtes et des mains nues, seules jugées dignes de l’intelligence et du pouvoir créateur qu’ils véhiculent. « J’imagine un singe qui tire la langue », s’égare Bonom. « Il ne dit rien, il se moque de nous. Plutôt que d’articuler de beaux concepts pour être en discussion avec nous, il n’utilise sa langue que pour nous la montrer. Ce singe est un dessinateur. Son œuvre, c’est la trace de sa marche à la surface du monde. Le singe fait la grimace pour nous retirer notre savoir et notre prétention. Il nous dit encore en d’autres mots que nous pensons posséder quelque chose – le langage en premier lieu – mais que nous n’avons rien. » En refoulant son animalité, l’homme perd peut-être ce qu’il se plaît à nommer son humanité. Bonom passe à côté des murs qui composent son paysage quotidien, se surprend à s’arrêter devant l’un d’eux, y revenir, tourner autour, grimper dessus et le dévisager en tous sens jusqu’à débusquer l’âme qui rôde en quête d’un espace où s’épancher. « Si des murs ont une sorte de présence invisible, c’est qu’il y a une âme qui demande un corps », visualise l’artiste qui envisage dans ses œuvres une intention de « les fixer, les ancrer à une pierre funéraire, coudre l’ombre de Peter Pan... ». Singer sans signer Le mouvement qui anime ces êtres s’imprime dans la trace laissée par leur passage. Des squelettes d’animaux faisant la course avec des trains. Un vieillard nu rendu honteux. Une envolée de colombes suggérant la liberté qui émanerait d’une spiritualité défaite de ses normes. Chacun lit ce qu’il y entend. « Je ne signe pas mes œuvres », conclut l’auteur. « Le seul nom qui pourrait être mis serait celui de l’autre. Autant dire personne. Ce que je dessine existe seul, hors de moi, et ils sont eux-mêmes le visage de ce qu’ils sont ». Siège social de Médecins Sans Frontières, Ixelles 36 Bruxelles Métropole - février 2019

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