TOPIC ENSEIGNEMENT & FORMATION Pacte d’Excellence : le rôle de l’entreprise en débat Le pacte est scellé depuis mai dans ses grandes lignes, mais la copie doit encore être précisée et des inflexions restent possibles au sein des grands équilibres tracés. Le phasage des mesures s’étalera jusqu’en 2030. L’étendue du chantier traduit l’ampleur de la réforme. Dès l’épluchage de la feuille de route, des résistances au changement se sont fait entendre. Les promoteurs du pacte ont appelé à ne pas mettre à mal la cohérence de l’édifice. D es remontées critiques du terrain se sont cristallisés au sein du groupe Facebook « Non au pacte d’excellence » (19.000 membres), qui a donné le jour à l’ASBL 1Pact (250 membres). Dans ces rangs frondeurs du fond de la classe, des professeurs et parents d’élèves refusent stricto sensu la dictée du monde supra-économique. « Que l’entreprise rentre plus dans l’école et favorise la formation des enfants, c’est important et même essentiel, mais je m’oppose à laisser le monde macro-financier mettre la main sur l’enseignement », brandit son secrétaire Karim Djaroud, également professeur de sciences en technique et professionnel. Il lit dans le pacte une transcription trop directe du diagnostic du cabinet de consultance international McKinsey. Cela laisse, selon lui, supposer du poids du lobbying de ses « émissaires noirs », aperçus à roder autour des groupes de travail dans une expectative présumée d’infiltration, et de la faiblesse du contrepoids des représentants des acteurs de l’enseignement, dont il conteste la représentativité. Sa défiance plonge ainsi ses racines dans les fondations de la « co-construction ». Elle s’est alimentée des casseroles de l’ex-ministre Joëlle Milquet, accusée d’avoir livré les clefs de l’enseignement aux grands industriels, et se nourrit depuis de ce qu’il perçoit être des émanations des intérêts du marché. Agiter ainsi le spectre de la marchandisation de l’enseignement renvoie à un principe fondamental explicité par l’économiste Bruno Colmant : « On n’a jamais voulu que l’enseignement soit utilitariste, c’est-à-dire guidé par des employeurs, parce qu’on veut des têtes bien faites avant des têtes opérationnelles. » La ministre de l’Education Marie-Martine Schyns s’est défendue d’un quelconque noyautage du processus décisionnaire des groupes de travail, dépositaires de la mission éducative, en assurant devant le parlement de la Fédération Wallonie-Bruxelles que « l’apport de McKinsey est limité à des fonctions Karim Djaroud (asbl 1Pact) 40 BECI - Bruxelles métropole - septembre 2017 Ophélie Delarouzée de support ». Au-delà de la distanciation prônée dans des critiques, compte tenu de l’inadéquation d’une matrice dite « productiviste », elle a vanté l’expertise de l’analyse du système scolaire francophone, objectivée par quantités de données croisées. Quoi qu’il en soit, les constats alarmants empêchent de laisser un entêtement de principe avoir, à lui seul, raison d’une énième tentative de réforme. Se défaire de cette approche manichéenne et lever la partialité qu’elle induit permet d’appréhender sur le fond le travail accompli au long de ces deux années de co-construction. Une gouvernance managériale ? « Le pilotage par objectifs chiffrés, où l’enseignant devient punissable si l’établissement n’atteint pas, par exemple, la baisse des redoublements escomptée, déploie une logique entrepreneuriale dans l’école », selon Karim Djaroud, qui fait de l’argument la clef de voûte de l’opposition d’1Pact. Ces enseignants refusent de voir leur autonomie rabotée, et qui plus est soumise à une emprise managériale qui transmuterait la progression des élèves en autant de variables de profits. Mais ce resserrement du contrôle individuel tient du développement de la collégialité des équipes, dans la visée d’une pédagogie plus différenciée. « Les plans de pilotage seront construits sur base d’un leadership partagé entre enseignants et directions », relaie le secrétaire général de D.R. © Reporters
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