FOCUS ENTERPRISE LIFECYCLE Transmission familiale : l’art d’aborder les questions qui fâchent « Psychiatre ès PME », c’est ainsi que se qualifie avec un brin d’humour Alain Englebert. Avec quatre associés au sein du cabinet Family House, il accompagne les entreprises familiales dans leur développement. La transmission, c’est son cœur de métier. Nous passons avec lui en revue quelques thèmes qui restent encore trop souvent tabous dans les cellules familiales. Olivier Fabes S’ appuyant sur une large expérience de la transmission intrafamiliale – majoritairement vers les descendants directs, parfois les nièces/neveux ou cousins – Alain Englebert le reconnaît volontiers : une bonne part de son métier, basé sur la confiance, consiste à faire exprimer tout haut ce que beaucoup, parents comme enfants, pensent tout bas. « Nous ne sommes pas des techniciens ou des financiers de la transmission. Notre matière, c’est avant tout l’humain. » Une matière intarissable, dont nous abordons avec lui quelques aspects délicats. • Les enfants n’osent pas dire non : « C’est heureusement de moins en moins vrai. Les enfants expriment plus facilement que jadis leur volonté, leurs aspirations profondes. Reste que, dans certains cas, le poids de la tradition ou surtout le poids psychologique de ne pas décevoir les parents pèse toujours sur certains enfants. » • Une question jamais vraiment posée : « Il faut encore trop souvent un accident de la vie pour que le dirigeant d’entreprise pose réellement à ses descendants la question de la transmission. Le patron, le nez dans le guidon, oublie de prendre le temps de faire sérieusement le bilan des objectifs de la famille et de l’entreprise. La question de la transmission doit être intégrée en amont à ce bilan. N’oublions pas qu’il faut au minimum 12 à 24 mois pour préparer une transmission. » • Frères et sœurs vont se déchirer : « Les conflits entre frères et sœurs se produisent le plus souvent après la cession. Soit l’entreprise marche du tonnerre et certains enfants vont se plaindre que l’un ou l’autre a été privilégié. Soit la transmission tourne au fiasco et c’est l’enfant qui a repris qui se sent défavorisé ou grugé. Il convient d’avoir une approche rigoureuse, lors de la préparation de la cession, pour que tous les enfants soient autour de la table et s’expriment. » Il n’est pas rare que plusieurs enfants veuillent s’impliquer. En fonction de l’expérience et des compétences de chacun, le conseil externe devra alors objectiver la répartition des rôles. « Jadis, les filles étaient en général moins intéressées par les affaires, mais cela a bien changé. » • Le fils/la fille aimerait bien mais ne peut point : « Nous avons encore eu un cas récemment : ‘nous devons vous Alain Englebert dire qu’au jour d’aujourd’hui, le fils envisagé pour vous succéder est incompétent pour reprendre l’entreprise.’ Il est de notre responsabilité d’ouvrir les yeux sur un scénario qui tournerait à la catastrophe. Souvent, les manquements ne sont pas irrémédiables, il faut juste reporter le projet de 2 à 3 ans et prévoir une formation complémentaire. » Mais parfois aussi, c’est une question d’aptitude générale et il faut oser dire la vérité en face. « À l’inverse, il arrive de plus en plus que le fils ou la fille, tout à fait compétent, n’ait tout simplement pas envie de reprendre la boîte familiale. Parce que le secteur d’activité ne correspond pas à sa formation ou, plus souvent, parce qu’il ou elle ne veut pas de la vie de ses parents, qui se sont investis corps et âme pour l’entreprise. ‘Oui à la grande liberté de l’entrepreneur, mais non à l’esclavage’, entend-on ici et là. Un tel argument n’est pas facile à contrecarrer, mais il peut être modéré : nous passons de systèmes de gestion d’entreprise ‘dictatoriaux’ à des modèles plus tournés vers la délégation. Le bon entrepreneur est celui qui s’entoure de gens plus compétents que lui. » Autre contre-argument : « Et avec un patron dans le monde salarié, quelle garantie avez-vous de davantage préserver votre vie privée ? » Optimiste malgré tout ... En dépit de toutes ces observations qui rendent la transmission familiale de moins en moins évidente, Alain Englebert se dit très confiant que le taux de succès des transmissions familiales va aller croissant. « Le besoin de préparation est de mieux en mieux compris. Certaines questions peuvent faire mal, mais au moins, les familles ne ferment plus les yeux. » ● BECI - Bruxelles métropole - janvier 2017 37 © R.A.
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