FOCUS ENTERPRISE LIFECYCLE Brasserie Cantillon : « Ne pas reprendre aurait été comme un acte de trahison » Cantillon, à Anderlecht, brasse le lambic traditionnel depuis quatre générations. Et la relève semble déjà bien assurée. Au pays de la gueuze, la transmission familiale apparaît tout aussi naturelle que le mode de fermentation ancestral. Olivier Fabes C e jour-là, la drêche sortait fumante de la brasserie de la rue Gheude, direction une des fermes de la périphérie bruxelloise. Ces restes de matières premières céréalières vont alimenter les vaches laitières, pour produire un fromage artisanal, à déguster avec la plus authentique des gueuzes. Véritable institution bruxelloise, Cantillon est l’une des petites brasseries les plus connues et respectées au monde. C’est aussi une PME de six personnes qui est restée dans le giron de la famille Cantillon puis, par alliance, de la famille Van Roy, depuis quatre générations. Si on y ajoute la gestion du « musée vivant » qu’est également la brasserie, toute la fratrie Van Roy y travaille : Jean dirige la brasserie, tandis que ses sœurs Magali et Julie s’occupent du musée. Tant pis pour les études... Son papa Jean-Pierre, époux de Claude Cantillon, et qui a repris la brasserie à Marcel et Robert Cantillon en 1968, est toujours bien présent, lui aussi. Et la relève semble déjà bien assurée puisque Florian, fils de Jean Van Roy, a rejoint l’entreprise depuis septembre. L’attrait de la brasserie familiale créée en 1900 par son aïeul, Paul Cantillon, l’a emporté sur les cours de management à Solvay... « Je n’ai moi-même jamais terminé mes études », se souvient Jean Van Roy, qui s’est retroussé les manches dans la brasserie dès 1989. Le passage de flambeau s’est fait progressivement. « À l’époque, nous n’étions que deux, le père et le fils. Et puis ma maman qui aidait dans l’ombre. » La situation n’était pas folichonne ; le lambic traditionnel n’intéressait plus grand monde et les brasseries bruxelloises périclitaient les unes après les autres. Mais Cantillon s’est accrochée. « On a senti un vrai renouveau à partir de 95-96 et maintenant, nous ne devons même plus faire de marketing. » Toute la production est en effet assurée d’être écoulée, essentiellement vers le secteur horeca. « Il y a quelque chose de très émotionnel dans cette brasserie », nous dit le maître-brasseur qui remet une bûche dans le petit poêle à bois de l’estaminet, avant d’évoquer ses premiers pas dans l’affaire familiale. « Reprendre l’entreprise me paraissait naturel et normal. Mes parents s’étaient battus pendant 20 ans pour en assurer la survie. Ne pas le faire aurait été comme un acte de trahison », affirme Jean Van Roy. « Je ne me souviens même pas 38 BECI - Bruxelles métropole - janvier 2017 Trois générations de Van Roy ; de gauche à droite : Jean, Jean-Pierre et Florian. que mon père m’ait dit un jour : ‘voilà, maintenant c’est toi le patron’. » Toute la famille vient régulièrement aider dans la brasserie, dès le plus jeune âge. Ce qui crée naturellement des vocations. « On essaie juste de ne pas se marcher sur les pieds. D’où la séparation entre la brasserie et le musée. » Dans les repas de famille, Jean Van Roy observe que les sujets de conversation tournent assez rarement autour de l’entreprise. « Il n’y a aucune règle qui l’interdit, mais on a déjà assez l’occasion d’en parler à la brasserie. » Internationalisation Jean Van Roy se dit probablement un peu moins conservateur que ses prédécesseurs, « mais sans jamais toucher à la tradition. » C’est sous sa houlette que Cantillon s’est réellement internationalisée au niveau de ses ventes, même si son papa l’avait déjà fait connaître au Japon. Jean n’a encore que la cinquantaine et son fils Florian n’a que 20 ans. Il n’y a donc pas d’urgence. Le passage de flambeau se fera aussi progressivement et naturellement. Il y a aussi un autre fils, Sylvain, 17 ans. « Ce sont bien sûr eux qui orientent leur carrière. Ce qui est certain, c’est que le lambic traditionnel ne s’apprend pas à l’école. Par contre, ce serait bien d’envoyer mon fils se former au contact d’autres brasseurs dans le monde, que ce soit au Canada, aux Etats-Unis ou en Italie. » La tradition n’empêche pas de s’inspirer de ce qui se fait de mieux ailleurs. ● © R.A.
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