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THINK TANK POUR OU CONTRE La personnalité juridique des syndicats ? Spécificité belge, les syndicats sont chez nous dépourvus de personnalité juridique. Faut-il y voir une simple traduction de leur condition syndicale ou un certificat d’impunité ? En tout cas, les soumettre à ce contrôle judiciaire nécessiterait sans doute des aménagements et des garanties. Ophélie Delarouzée Drieu Godefridi, docteur en philosophie et juriste En Belgique, on peut chercher la responsabilité juridique de la plus petite ASBL jusqu’à l’État (jurisprudence « La Flandria »). Je ne connais aucun grand État où les syndicats échappent à ce principe de droit commun. Cette anomalie est d’autant plus grande que les syndicats belges ont, en versant les allocations de chômage, des responsabilités qui relèvent de la puissance publique. En leur donnant la possibilité d’aller en justice mais pas celle de les y astreindre, l’État leur attribue les avantages de la personnalité juridique sans les inconvénients. Or, il y a des conflits sociaux dans lesquels les syndicats commettent des actes illégaux, par exemple quand, dans des zonings entiers, ils bloquent le passage à tout le monde sans distinction. Même sous un gouvernement de droite, avec le scandale de l’autoroute à Liège l’an dernier (une patiente était décédée alors que le chirurgien se trouvait bloqué par une manifestation, ndlr), ce n’est finalement pas passé. Pourtant, cela inciterait les syndicats à prendre davantage de mesures préventives. On peut toujours poursuivre individuellement les auteurs identifiés, mais l’enjeu n’est pas là pour un blocage. En logique juridique, quand une organisation instrumentalise des individus pour commettre des actes illégaux, elle est poursuivie. On ne poursuit pas uniquement les exécutants, surtout que les grévistes n’ont pas les moyens de payer des dommages qui peuvent être colossaux. L’argument depuis toujours utilisé est qu’une personnalité juridique mettrait en péril la capacité d’action des syndicats, parce que les patrons connaîtraient leur « trésor de guerre ». La perversité de l’argument est de revendiquer, à une époque où on lutte contre l’évasion fiscale, d’avoir des « caisses de combat » secrètes au Luxembourg – des comptes y ont été avérés. On n’est plus au 19e siècle, quand ils menaient avec de petits moyens des bras de fer avec le patronat. Aujourd’hui, avec leur puissance de frappe financière, cette tradition n’a plus lieu d’être. On a un droit du travail et ils sont intégrés dans le fonctionnement de l’appareil étatique. 4 BECI - Bruxelles métropole - décembre 2016 Philippe Vansnick, secrétaire fédéral adjoint CSC BHV Des partis politiques, qui euxmêmes n’ont pas de personnalité juridique, reviennent régulièrement avec cette question. Les personnalités juridiques que les syndicats ont dans certains pays comportent des clauses de sauvegarde pour répondre au droit international. Au niveau technique, il n’y a pas en Belgique de personnalité juridique adaptée – celle des ASBL nous obligerait à lister tous nos membres – mais nous avons des responsabilités individuelles excessivement lourdes. Quand on signe un document ou quand on défend un travailleur au tribunal, on s’engage sur nos biens propres. L’objectif est d’affaiblir les syndicats en nous attaquant sur des cas individuels. Est-ce que les syndicats doivent assumer les dégâts causés par un hooligan ? Le législateur jusqu’à présent dit non et heureusement, car cela pourrait s’appliquer à n’importe quelle association. C’est le casseur qui doit être recherché et poursuivi. Quand des personnes bloquent un carrefour – et cela vaut pour tout le monde – la police organise la circulation par ailleurs le temps de négocier. Lier le blocage à Liège et le décès de la patiente, c’est devenir une société qui peut tout condamner, même le médecin pour ne pas avoir dormi à l’hôpital alors que des grèves étaient annoncées. On s’est engagés à suivre certaines procédures avant d’en arriver à faire grève, mais parfois les blocages sont inévitables. Des gens descendent dans la rue de façon émotive, comme chez Caterpillar. Les patrons envoient aujourd’hui des huissiers avec des astreintes individuelles de plusieurs centaines d’euros par jour. Tout chez nous est clair, sauf le solde de notre caisse de résistance qui permet de payer les indemnités de grève. Le mécanisme de ce qui rentre et sort est connu. Nous sommes contrôlés et payons nos impôts ainsi que les taxes pour nos bâtiments, via nos ASBL. Placer la caisse de résistance hors de Belgique garantit que le gouvernement ne puisse pas bloquer ce compte. Ce mécanisme est reconnu au niveau international. © Reporters

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