Contre les préjugés, le dialogue DIVERSITÉ DANS L’ENTREPRISE La diversité d’une communauté humaine devrait se refléter dans ses organisations. Plus facile à dire qu’à faire ? Comment barrer la route au racisme et à la discrimination au travail ? Nous avons posé la question au psychologue et sociologue Alain Van Hiel, de l’Université de Gand. Il vient de publier Iedereen Racist (Tous racistes). Interview par Peter Van Dyck «I edereen Racist l’annonce sans ambages : qui dit contexte de travail multiculturel, dit risque de ségrégation. « Dès l’instant où des personnes de même origine forment des sous-groupes au sein d’une équipe, les gens se mettent à vivre les uns à côté des autres, plutôt qu’avec les autres », explique le professeur Van Hiel. « Ne fût-ce que d’un point de vue de management, il faut éviter que des équipes se fractionnent. Les études révèlent que des équipes composées de personnes d’origines diverses fonctionnent moins bien que des groupes homogènes, surtout au début. J’impute cela à la nécessité d’apprendre à se connaître. Passé ce cap, la diversité n’a plus guère d’impact sur le fonctionnement du groupe. » Bruxelles Métropole : Mais comment prévenir la formation de clans ? Alain Van Hiel : En favorisant les contacts entre ces sousgroupes, de manière informelle ou par des discussions de groupe. C’est la seule façon de désamorcer le phénomène. Je prône même la sévérité pour éviter l’émergence d’une ségrégation. Un mélange maximal des équipes est une bonne forme de prévention. Et comme toujours, il vaut mieux prévenir que guérir. Que faire des entreprises où la discrimination fait partie intégrante de la politique de sélection ? Comment contrecarrer ? Il y a des exemples extrêmes, comme ce bureau d’intérim qui enregistrait les entreprises refusant d’engager des allochtones et qui décernait l’étiquette « Blanc Bleu Belge » aux candidats autochtones. Il faut sévir contre ce genre de racisme structurel et rabique. La voie pénale est un moyen de dissuasion, mais pas forcément le meilleur. Les études démontrent qu’une condamnation au pénal n’est pas forcément très pédagogique. Le coupable s’estime souvent 30 BECI - Bruxelles métropole - octobre 2016 victime d’une injustice. En revanche, le naming & shaming – la révélation publique d’une pratique choquante – est plus efficace, parce que l’entreprise voit sa réputation entachée. Le recours à des tests pratiques alimente pas mal de débats. Je ne suis pas opposé aux tests. Mesurer, c’est savoir. En tant que scientifique, je ne peux qu’approuver les efforts d’identification. Je cite dans mon livre une enquête canadienne, sur la base de candidatures fictives. Il en ressort qu’un blanc a trois fois plus de chances d’être convié à un entretien d’embauche. Ce racisme n’est pas forcément conscient : un réflexe automatique guide parfois les sélectionneurs vers des gens « de même race ». L’étude révèle en outre que, dès l’instant où un candidat allochtone se présente à un entretien, son « handicap » disparaît. Les employeurs doivent donc surmonter leur frilosité. Comment fonctionne la discrimination ? Nous appartenons tous à un groupe social. Tant mieux, d’ailleurs. Des recherches imputent le fort développement du cerveau humain à cette constitution de groupes et aux exigences de la collaboration. Corollaire négatif, nous privilégions notre propre groupe. Il en a toujours été ainsi, dans tous les peuples. D’où le titre de mon livre : Iedereen Racist. Il y a en chacun de nous les ingrédients des préjugés. Comme le dit Henri Tajfel, psychologue social réputé, la discrimination existe dès que l’on crée des catégories de personnes. Cette discrimination surgit spontanément dans toute communauté humaine où plusieurs groupes cohabitent. Il faut que nous en prenions conscience, si nous voulons y remédier. Quelques cas concrets. D’abord l’histoire de cette femme à moitié marocaine, très douée © Thinskstock
33 Online Touch Home