TOPIC Bataille d’oreillers avec des clients Alexander Kjerulf, que Laurence Vanhée cite souvent, était autrefois à la tête d’Ikea Danemark. Il conseillait aux managers de saluer les collaborateurs chaque matin et d’être moins avares en compliments. Il y eut même cet instant mémorable où le chef du département Literie organisa une bataille d’oreillers entre le personnel et les clients. Laurence Vanhée aussi a vu apparaître des pratiques tout à fait atypiques. « Le SPF Sécurité Sociale a notamment lancé l’idée de confier à une ASBL la collecte du surplus de sandwiches prévus pour des réunions de travail. Une autre initiative, ‘Vis ma vie’, permettait d’exercer pendant un jour la fonction d’une autre personne. Tout cela contribue à la fierté du personnel. » Les psychologues du travail s’alignent partiellement sur cette philosophie. « Ces dix dernières années, l’accent s’est déplacé vers la psychologie positive », confirme Martin Euwema, professeur en psychologie des organisations, à la KU Leuven. « Auparavant, nous prenions en compte les facteurs aggravants, qui doivent toujours être tenus à l’œil face à la multiplication des burnouts. Malgré cela, comme pour rétablir l’équilibre, le concept anglais d’engagement – l’implication, donc – reçoit davantage d’attention. Personnellement, je trouve le concept de ‘happiness’ trop vague. Je préfère les notions d’enthousiasme ou de dévouement. » Quatre facteurs régissent l’enthousiasme : l’autonomie, le sentiment d’appartenance, l’utilisation des compétences propres et le sentiment de faire quelque chose de sensé. Le professeur Euwema y ajoute cette remarque : « J’ai entendu récemment l’interview d’une dame qui venait de gagner le prix des ‘meilleures toilettes de gare’. Elle estimait que sa mission était de veiller à ce que les gens puissent utiliser des toilettes propres. Elle était heureuse parce que son travail correspondait à ses compétences. C’est un constat important en matière de développement du personnel. Nous avons longtemps focalisé sur les limites des collaborateurs, mais s’efforcer d’améliorer les points faibles ne contribue pas souvent à améliorer le bien-être. En revanche, une approche valorisante – du style : quels sont vos atouts ? – y parvient sans problème. C’est ce que l’on appelle le jobcrafting. Encore un terme à la mode. » Des études montrent que notre sentiment de bonheur est d’ordre génétique pour 50 % et dépend pour 10 % des circonstances. Conclusion du professeur Euwema : « Cela signifie qu’il dépend à 40 % de nos pensées et de nos comportements, en sachant que la vie privée joue un rôle déterminant. Sans doute ne voudriez-vous pas d’un scénario à la George Orwell ou de méthodes japonaises où la bonne humeur est obligatoire et où chacun entonne l’hymne de l’entreprise... Ce serait épouvantable, n’est-ce pas ? Je ne crois pas en un CHO qui encouragerait chacun à se sentir ‘happy’ sur son lieu de travail. Celui qui veut améliorer le bien-être de ses collaborateurs devrait d’abord veiller à un bon environnement de travail et à des relations professionnelles saines. Ensuite seulement, on pourra songer à organiser une fête de l’entreprise. » Celui qui veut améliorer le bien-être de ses collaborateurs devrait d’abord veiller à un bon environnement de travail et à des relations professionnelles saines Martin Euwema, KU Leuven Contre la culture des rouspéteurs Et puis, s’il faut vraiment un CHO, autant qu’il opte pour une approche projet, estime le professeur. « Cette personne pourrait notamment analyser les améliorations utiles en matière d’ambiance de travail et de culture d’entreprise. Ces derniers temps, je suis régulièrement confronté à des entreprises où sévit une culture de grincheux. Quand on sait à quel point les émotions sont contagieuses, il y a tout intérêt à couper court à une mentalité de lamentations. Le CHO pourrait prendre des initiatives ciblées pour rendre l’ambiance plus positive, en commençant par prêcher l’exemple. Je connais un directeur qui a affiché des posters joyeux et qui s’est fixé pour objectif de dire quelque chose de positif à chacun. » Laurence Vanhée a traversé elle-même une période de burnout en 2008-2009 et s’est juré de ne plus jamais être aussi malheureuse. Elle a en horreur les CHO qui prennent leur mission trop à la légère. « J’enrage à la vue de ces jeunes CHO, sans guère d’expérience et qui organisent des barbecues et des compétitions de bowling. Tout cela est trop superficiel. D’ailleurs, pas besoin de CHO pour organiser des festivités réussies. Le CHO qui veut exercer un impact réellement positif doit aller bien au-delà. Il s’agit d’analyser l’organisation, le personnel et les KPI. Et n’oublions pas qu’un chief officer relève du comité de direction. Il a donc un rôle stratégique, à savoir la responsabilité de la mise en place des meilleures conditions de travail. L’objectif est de rendre les collaborateurs heureux, certes, mais aussi performants ! » ● BECI - Bruxelles métropole - mai 2016 23 R.A.
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