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Re-visitez Bruxelles produits du marché et qui peut changer suivant les saisons, mes humeurs... Mais le produit est toujours à la base de toute élaboration, c’est ce qui me caractérise. Quel est votre plat signature ? On a quelques connotations japonaises, avec le miso par exemple, mais qu’on propose sur un ris de veau. Au départ, on le travaillait sur une base française, c’est-à-dire braisé sur un jus de homard. Petit à petit, on l’a transformé en le faisant gratiner au miso. C’est devenu notre ris de veau au Chalet, un vrai plat signature ! Le ris de veau a toujours suivi ma carrière, c’est un produit que j’adore, tout comme le pigeon, les huîtres, le turbot ou les langoustines. Il y aura toujours ces produits à la carte, que l’on travaille selon le potager, les inspirations du moment, la saisonnalité... Où puisez-vous l’inspiration ? Dans mon potager principalement. Chaque jour je fais le tour, je vérifie la maturité des légumes. En saison, nous sommes 100 % autonomes quant aux herbes. On détient plus d’une cinquantaine de variétés d’herbes qui nous permettent de changer les recettes très facilement. On fait notre compost nous-mêmes. Tout est recyclé ; cela nous permet de nourrir nos terres. Et puis, on travaille en étroite collaboration avec nos fournisseurs, nos maraîchers qui travaillent essentiellement en bio et en permaculture. Mais bio, ça ne veut pas dire grand-chose ; je préfère dire qu’on travaille avec des gens qui ne pulvérisent pas. Comment vivez-vous cette crise du Covid-19 ? C’est une crise-choc, même si je pense qu’on savait que l’on allait à un moment ou un autre prendre le mur. On était dans l’hypermobilité, dans l’hyperconsommation, on était dans le « plus » à tous les niveaux. Dans la restauration, c’est la même chose : on est dans l’expérience ultime, on ne sait plus quoi inventer. Je pense qu’on est dans un cycle où l’on ne sait plus quoi faire pour satisfaire une clientèle qui, somme toute, est blasée. Alors oui, la tendance actuelle est au produit et au local, mais on continue de vouloir toujours en faire plus. On appelle ça parfois de la créativité, moi j’appelle ça de la surenchère, presque de la prétention. Qu’attendez-vous d’une expérience dans un restaurant ? Qu’est-ce que j’attends quand je vais manger un tournedos, par exemple ? Que la pièce soit magnifique, d’une fraîcheur impeccable, cuite et assaisonnée à perfection. Là, on fait honneur au produit, c’est la madeleine de Proust ! Je ne peux pas imaginer faire des recettes avec mille ingrédients dans l’assiette et ne plus retrouver l’essentiel. Il n’y a rien qui me fait davantage plaisir ou qui donne un sens à mon métier que le client qui me dit : « J’ai mangé chez vous il y a deux ans : une sardine, un ris de veau, une volaille et j’ai envie de revenir pour ça. » Cela montre la valeur et l’émotion qui ressortent de l’expérience gustative. Quand on sort d’un resto en se disant qu’on a bien mangé, mais qu’on est incapable de se souvenir de ce qu’on a mangé, ça ne va pas. Cette crise contribuera peut-être au retour de l’émotion et du « focus produit » dans les cuisines... Que faites-vous pendant cette période de pause forcée ? On se prépare à une nouvelle vie, à quelque chose de neuf. On fait un nettoyage de printemps pour éliminer tout ce dont on ne se sert pas et tout ce qui peut nous encombrer de manière à retrouver une liberté et à voir plus clair pour la réouverture. J’ai à cœur de redémarrer dans quelque chose de sain, de neuf, de beau. Toute l’équipe est là, on se parle, on se voit de temps en temps, lors de réunions où on est très espacés. Ensemble, on parle de la réouverture, on parle de la motivation. On sent un lien indéfectible, on est soudés et c’est ce qu’il y a de plus important ! Comment imaginez-vous l’après ? Je ne sais pas encore. Il y a deux grands cas de figure : d’abord, cette crise dans laquelle on se trouve est tout de même catastrophique. On va en payer les conséquences, c’est sûr. Le plus négatif, c’est que l’homme oublie très vite et retourne à ses mauvaises habitudes. Et puis, il y a les bonnes choses, les prises de conscience. Il y a les gens qui se disent « Tu as vu comment on vivait ? Est-ce que c’était ça qu’on voulait ? » Cette course a été stoppée pour tout le monde et maintenant on va en tirer toutes les bonnes choses qu’on peut en tirer. Mes fournisseurs, mon staff ont tous hâte de repartir. Je pense qu’on a quelque chose de très beau qui nous attend. Tous les jours, on reçoit des messages de soutien de nos clients : « On est avec vous », « On sera là à la réouverture »… Eh bien si cette période nous permet de préparer un avenir meilleur, continuer à travailler d’arrache-pied et faire preuve de créativité, je pense qu’on devrait s’en servir. ● Elisa Brevet Bruxelles Métropole - juin 2020 ❙ 25

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