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Urbanisme & Immo Des tours en perspective Des mesures comme l'individualisation des droits sociaux pour réunir les couples, ou comme la lutte contre la multiplication des Airbnb, peuvent quelque peu contribuer à recouvrer des logements dans le bâti actuel. Pour voir les choses en grand, la Région veut ériger des tours. « Les tours de Chicago ont été construites avec son collier de grands parcs pour offrir une vue sur cet espace à un grand nombre d'habitants et contenir les prix de l'immobilier », intervient Nicolas Gilsoul. « Densifier doit servir à libérer des espaces publics de qualité par ailleurs, non à empiler les gens dans des clapiers pour amener plus de monde à partager un espace minéral. Densifier au centre pour continuer à étaler en périphérie n'est pas non plus cohérent ». Pierre Vanderstraeten (UCL) se montre aussi prudent : « Les habitations doivent répondre à des normes de plus en plus strictes, ce qui implique des coûts particulièrement élevés pour les tours, qui s'ajoutent à leurs exigences techniques et acoustiques. Elles vont dès lors s'adresser à un public aisé alors que l'enjeu de Bruxelles est de proposer des logements suffisamment abordables à sa population ». Des élus de la Ville ont d'ailleurs parlé de difficultés à vendre les luxueux appartements de la tour Up-Site en bord de canal. Quant aux grands ensembles pour revenus modestes, comparables à ceux des banlieues parisiennes, Pierre Vanderstraeten remarque que « les sociétés de logement social qui ont à gérer des bâtiments élevés éprouvent de grosses difficultés, car l'entretien et la rénovation coûtent cher. Le trop grand anonymat de ces ensembles induit aussi un risque accru de déresponsabilisation des habitants visà-vis de tâches d’entretien collectif ». La Région propose de résoudre l'équation en édifiant des gratte-ciel mixtes dans le quartier européen. À leurs pieds, elle offre à partager une place Schuman minéralisée chapeautée d'une soucoupe grise pour s'abriter du soleil, en remplacement de l'îlot de fraîcheur qui n'était déjà qu'une oasis de végétation. Une vue plus haute sur Bruxelles Anne Hidalgo parle du Grand Paris car elle veut penser les grands enjeux de mobilité, de logement et de mixité sociale à l'échelle métropolitaine. Pierre Vanderstraeten adopte la même vision pour Bruxelles, même si formuler la gouvernance partagée qu'elle implique laisserait entendre des grincements de dents : « La métropole est prévue dans la réforme de l'État, mais elle dépend de la bonne volonté et de l'entente des gouvernements régionaux. Comme on devrait encore avoir de la croissance démographique et qu’immanquablement il y aura de nouveaux lotissements, l'accueil de cette population doit se planifier sur l'aire métropolitaine. Il faut réfléchir à une densité raisonnable et développer de l'emploi et des équipements pour éviter 32 ❙ Bruxelles Métropole - février 2020 À Chicago, les grands immeubles ont été construits autour d’une ceinture de parcs. de faire des cités dortoirs en dehors de Bruxelles ». En ce sens, si l'impôt pouvait lui aussi être revu au niveau de la métropole, la fuite des classes moyennes vers les périphéries ne serait pas tant le mal décrié. « Des familles à faibles revenus se dirigent aussi vers Vilvorde et Tubize », modère Yves Rouyet. « On a une distribution socio-spatiale inversée par rapport à Paris, avec des populations plus précarisées au centre de la ville, mais ce n'est pas plus mal car la proximité de services et d’emploi leur est profitable ». Quant à l'accueil des classes aisées qui pourraient vouloir protéger leur tranquillité, Pierre Vanderstraeten avance que « les mentalités changent. Les projets Bimby (Build in my backyard), importés de France pour densifier des lotissements existants à l’initiative des propriétaires permettent de limiter l’urbanisation de nouveaux territoires. Ces interventions doivent être localisées à proximité des services et transports en commun afin de consolider leur viabilité et de ne pas induire de nouvelles dépendances à la voiture ». Bruxelles se singularise par son communautarisme marqué. Pour Pierre Vanderstraten, « il naît d'abord de la volonté de retranchement des plus riches. Les autres communautés se regroupent ensuite de façon plus subie pour bénéficier des effets d'entraide et de solidarité. Il s’agit de penser la ville inclusive à partir du couple ‘communauté – société’ introduit par Ferdinand Tönnies au XIXe siècle. L'anonymat du centre-ville porte la société urbaine et son ouverture à la différence alors que les quartiers tissent du lien social. Pour trouver sa place dans la société, chaque habitant doit pouvoir vivre ces deux ambiances. Bruxelles a beaucoup de quartiers et manque de centres pour son brassage social ». Les problèmes de grignotage des terres, mobilité et mixité tournent en rond autour de la question du polycentrisme. ● Ophélie Delarouzée © Getty

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