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TRANSITION Lionel Jadot, l’artisan-designer upcycler Elles sont rares, les activités économiques qui parviennent à réunir dimension artistique, valorisation des matériaux normalement voués à la destruction, le tout dans le respect d’une tradition artisanale. C’est ce défi que relève depuis plus de 30 ans l’artiste-designer Lionel Jadot. Johan Debière I l est appelé de partout pour aménager des établissements comme le Jam (un hôtel trois étoiles situé sur la chaussée de Charleroi), pour donner une âme à des endroits particuliers comme le restaurant de 250 couverts que Marc Veyrat s’apprête à ouvrir à Paris, pour aménager l’intérieur de particuliers ou pour penser des espaces de travail différents. Sa dimension artistique est reconnue, puisqu’il a exposé il y a peu au Centre d’Innovation et de Design du Grand-Hornu, dans le cadre de l’exposition « Mixed Grill ». Cet homme tourné vers la récupération de matériaux en vue d’en faire des objets ou du mobilier sublimé, c’est Lionel Jadot. Un aspect du Jam Hotel, aménagé par Lionel Jadot. Fils d’un couple d’artisans, Lionel s’est intéressé très tôt aux chutes qui traînaient dans l’atelier de fabrique de fauteuils de ses parents : « Toutes les dépouilles de bois, de cuir, toutes les matières dont les morceaux tombaient à terre étaient pour moi une source d’inspiration. Dès l’âge de 6 ou 7 ans, je construisais mes propres jouets à partir de plaques de métal, de morceaux de cuir, de bois... Ça a complètement transformé mon mode de pensée créatif à plusieurs niveaux », explique-t-il. De fil en aiguille, ce qui était un jeu est devenu la vocation de Lionel Jadot : il allait marcher dans les traces de ses parents tout en prenant le parti très particulier de travailler avec des matériaux de récupération. Paradoxalement, les objets fabriqués à partir de chutes ont un prix de revient plus élevé que celui d’objets que l’on trouve dans les supermarchés design. « Ces points de vente fonctionnent avec des ressources vierges qu’elles transforment en s’appuyant sur la main-d’œuvre bon marché des pays émergents. Tout au contraire, notre démarche consiste à la fois à utiliser des matériaux de récupération et à privilégier de la main-d’œuvre locale qualifiée. Les plaques de métal, de bois, les morceaux de cuir que je suis amené à récupérer n’ont en soi aucune valeur économique, mais je pars de ce point pour essayer de donner à l’objet ou à l’aménagement une plus-value, une valeur artistique élevée. » Si l’optimisation des processus a une place dans sa démarche ? « Je me méfie toujours des tendances consistant à simplifier les processus de transformation en vue d’arriver à un prix plus bas. Un outil artisanal qui tend à se simplifier rime forcément avec perte de valeur et de savoir-faire. Les anciens ne transmettent plus leur savoir parce que celui-ci n’est plus utilisé, au motif que cela ne correspondrait plus au modèle économique actuel. De ce fait, pas mal de choses disparaissent. Et j’avoue que cela m’énerve...» Collaboration avec Rotor à Bruxelles Lionel Jadot est un artiste assumé, chez qui la récupération de matériaux agit comme moteur créatif. Mais l’aspect environnemental occupe également une place prépondérante dans sa démarche : « Je déteste jeter. Récupérer les objets, c’est une seconde nature chez moi », avoue le designer dont les trouvailles occupent chez lui un volume impressionnant. « Je travaille avec l’asbl bruxelloise Rotor, dont l’objectif est de récupérer un maximum d’éléments dans les immeubles voués à la destruction ou à la déconstruction. Avec Maarten Gielen, le responsable de cette association, j’ai par exemple récupéré des dizaines de portes en bois que j’ai utilisées pour barder un plafond chez un client. Nous essayons, Maarten et moi, de créer des ponts, de raccourcir la distance entre Rotor et mon activité pour faire en sorte que ce qu’il démonte puisse rapidement se retrouver dans ce que je crée de mon côté ». En somme, un circuit court assumé, où les deux entités prennent en compte les aspects liés à l’épuisement des ressources naturelles, en limitant le transport des matières premières secondaires (ndlr : nom officiel donné aux déchets que l’on réutilise dans un processus de production). Et Lionel Jadot de conclure en disant que « si la valorisation est totalement réalisée à partir d’une création locale, l’argent reste en prime totalement en Belgique ». ● Info : www.lioneljadot.com ; http://rotordb.org 45 © Oana Crainic

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