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THINK TANK POUR OU CONTRE L’évaluation permanente du personnel ? Le management du personnel est aujourd’hui largement questionné. Certaines grandes entreprises comme General Electric, Microsoft, Netflix ou Deloitte ont déjà renoncé à la traditionnelle évaluation annuelle pour s’essayer à de nouveaux modèles plus continus. Optimiser performance et bien-être au travail ne se résume cependant pas en une simple formule. Ophélie Delarouzée Frank Vander Sijpe, directeur HR Research chez Securex En faisant des tests, on voit que les groupes qui reçoivent du feed-back sont plus performants que ceux qui n’en reçoivent pas. L’évaluation est aussi perçue comme importante par les gens, qui de nature veulent aller vers un mieux. Mais aujourd’hui, on constate que l’application du système d’évaluation au sein des entreprises n’est pas efficace. Pour l’améliorer, il faut d’abord se rappeler d’où on vient, à savoir du travail de production en usine qui est facile à contrôler et optimiser. Aujourd’hui, il faut plutôt aller vers des solutions à la tête du client et développer une expertise. Il faut être créatif car on ne peut plus avoir du prêt-à-porter. Par exemple, quand on travaille avec des employés qui ont une expertise approfondie, il est difficile de les contrôler et il est nécessaire de leur faire confiance. Le rôle du n+1, du chef, change en rapport : il n’est plus de contrôler mais de coacher. Son contrôle ne s’exerce plus qu’au niveau du résultat final, à savoir si le client est satisfait ou si le coût économique est acceptable. Avec les seuls entretiens annuels, pour les employés, c’est souvent une douche froide car on ne leur a rien dit durant l’année. Après chaque tour d’évaluation, on voit plus de gens démotivés que motivés. Il vaudrait mieux donner des évaluations informelles à chaque fois que c’est possible, oser apprécier un travail quand il est particulièrement bien ou mal fait, en dehors du fonctionnement formel. L’entretien annuel servirait alors à formaliser ce qui a été dit de manière régulière. Il est aussi fréquent de mélanger développement de soi et augmentation salariale en faussant la donne ; de s’arrêter aux reproches ou de seulement dresser un bilan du passé sans dégager des perspectives mutuelles dirigées vers l’avenir. Il faut prendre le temps de faire un entretien. Si on regarde l’ensemble des compétences d’une personne, on peut sortir du seul « fonctionnement dans une fonction » et ouvrir des perspectives d’évolution motivantes. Philippe Samek, secrétaire national CNE La question de l’évaluation se pose différemment selon la catégorie professionnelle concernée. Un cadre est en général évalué essentiellement sur ses objectifs. S’ils sont atteints, l’évaluation de son management restera secondaire, et la satisfaction au travail de ses subalternes peu considérée. Le cadre transmet aussi les pratiques de l’entreprise : s’il est soumis au stress des résultats, il renvoie ce stress sur ses services. On ne changera donc pas une entreprise en modifiant juste le système d’évaluation. C’est pour moi un enjeu secondaire, inscrit dans celui du people management. Essayer de dynamiser les relations de travail avec de nouveaux outils d’évaluation, sans modifier la gouvernance de l’entreprise, peut même se révéler contre-productif. Par exemple, introduire un système interactif où les gens notent leur n+1 et leurs collègues, mais sans vraiment lui donner de suite, risque d’avoir des retombées sur certains employés critiques. Dans les milieux comme les centres d’appels, où le taylorisme reste la norme et les agents doivent appliquer strictement des procédures, les évaluations sont scolaires et infantilisantes. On contrôle plus qu’on évalue. Dans ces entreprises, le mal-être des employés transparaît déjà au niveau de l’absentéisme, alors passer d’un entretien annuel à une évaluation permanente ne peut qu’augmenter le sentiment d’hyper-contrôle. Ces méthodes ne sont plus adaptées à la société d’aujourd’hui, qui valorise l’individu et sa réalisation personnelle, comme travailleur et comme citoyen. Beaucoup d’entreprises s’occupent encore trop peu de construire la compétence de leurs employés. Elles engagent des gens qu’elles souhaitent immédiatement performants. Dans ces conditions, l’évaluation n’est souvent qu’un rapport de fautes. Au contraire, intégrer de la décision dans le travail avec un espace de développement permet aux gens de donner un sens à ce qu’ils font. C’est surtout le modèle de management qui rendra l’évaluation bien ou mal ressentie. BECI - Bruxelles métropole - mars 2017 7 © Thinkstock

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