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FOCUS Un simple report de dépenses ? Il est particulièrement ardu d’évaluer un coût indirect tel que la perte de confiance des consommateurs. Étonnamment, l’attentat contre la rédaction de Charlie Hebdo, en janvier 2015, qui coïncidait avec le début de la période des soldes, n’a eu aucune répercussion négative sur la consommation à Paris. On ne peut pas en dire autant des attentats qui, dix mois plus tard, ont notamment touché la salle du Bataclan : les restaurants et centres commerciaux, tant dans le centre qu’à l’extérieur, ont vu leur clientèle s’étioler pendant une semaine. Les superettes de quartier en ont tiré profit avec, pour certaines, 20 % d’augmentation du chiffre d’affaires (notamment en raison des livraisons à domicile). L’accroissement des ventes en ligne a aussi joué un rôle compensatoire. La peur a cloîtré les gens chez eux pendant un moment, mais la population locale est vite retournée dans les restaurants et les boutiques, admettant un besoin de contacts sociaux. maintenir au moins de 10 à 20 ans pour affecter sérieusement l’économie. En Espagne, l’ETA a semé la mort et la destruction du milieu des années 70 aux années 90, faisant près de 800 victimes. Au cours de cette période, les investissements étrangers y ont reculé de 13,5 %. De même, Israël a perdu 10 % de croissance en 2004, après la deuxième Intifada. Des attentats à la bombe ont ravagé l’Irlande du Nord pendant 30 ans, avec à la clé des conséquences désastreuses pour l’emploi dans le secteur privé. En janvier 2015, l'attentat contre Charlie Hebdo n'avait eu que peu d'influence sur la consommation, à Paris. La menace terroriste parvient certes à retarder les achats, mais pas à les supprimer. Un phénomène comparable se manifeste au niveau macro-économique : les réactions de peur de la part d’investisseurs étrangers restent mesurées. Des études montrent que, dans le cadre d’un partenariat commercial entre deux nations, lorsque l’un des deux partenaires est frappé par un acte terroriste, les échanges entre eux peuvent chuter de 91 % par rapport à la normale, mais uniquement en cas de menace prolongée ou face à des attentats de l’envergure du 11 septembre, qui a fait 2.000 victimes. La défense se frotte les mains... Les pays émergents ou en développement se révèlent beaucoup plus vulnérables que les économies riches et diversifiées. Pour ces dernières, une menace sur le secteur touristique suscitera plus facilement un déplacement de l’activité économique vers d’autres secteurs moins sensibles. Martien Lamers mentionne un réflexe quelque peu cynique : les secteurs de la défense et de la construction aéronautique profitent habituellement du terrorisme. « Nous constatons par exemple qu’en Israël, les cours de la plupart des actions sont en baisse après des attentats, sauf dans le secteur de la défense. On s’attend en effet à ce que les autorités investissent davantage dans la sécurité. Un avionneur tel que Lockheed a par exemple progressé après les attentats de Paris. » Martien Lamers estime que la menace terroriste doit se Le contexte social Les conflits dans ces pays sont de nature historique et ethnique ou communautaire, alors que les attentats de Londres, Madrid et Paris plongent leurs racines dans le fondamentalisme musulman. Martien Lamers cite une étude de Richard Jong A Pin, un de ses collègues à la Rijksuniversiteit Groningen, pour mettre en garde contre une instabilité politique qui constituerait un plus grand danger pour notre économie que le terrorisme jihadiste en lui-même. « Al Qaida a fait sauter quatre trains à Madrid en 2004 pour se venger du soutien que l’Espagne apportait à la guerre en Irak. Cet événement a certainement influencé les élections qui, quelques jours plus tard, ont détrôné le gouvernement en place. Les recherches de mon collègue démontrent que le terrorisme raccourcit l’espérance de vie des gouvernements. Ce n’est donc pas par hasard que le président français François Hollande a déclaré qu’il souhaite être jugé sur sa politique de l’emploi, à la fin de son mandat. Le non-emploi est un terreau fertile du terrorisme. Une économie intégratrice, qui offre des perspectives d’emploi à ses jeunes, voit décliner l’efficacité des attentats terroristes : dans ce cas, le nombre d’attentats réussis diminue fortement. » Tant qu’à resituer la violence extrémiste dans un contexte social plus large, Martien Lamers y ajoute un message essentiel : « En tant que citoyen, je me réjouis de voir les pouvoirs publics prendre la menace terroriste au sérieux. Je suis heureux de constater la présence de militaires dans les rues de Paris et de Bruxelles. En tant que scientifique, toutefois, je suis forcé de conclure qu’il existe des mesures moins onéreuses pour sauver des vies. Sous un angle purement rationnel, il est bien plus utile d’investir dans la sécurité routière, parce que les risques que représente le trafic – plus de 700 morts chaque année en Belgique – sont beaucoup plus importants que ceux de la menace terroriste. » ● Vingt ans de terrorisme de l’ETA auront probablement coûté 13,5 % d’investissements étrangers. BECI - Bruxelles métropole - mars 2016 37

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